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japon témoignage

 

Arrivée au pays de la désolation

25 Avril 2011 - Japon

J'ai passé la plus grande partie du vendredi 15 Avril à rassembler tout ce qu'il fallait pour les opérations de secours d'urgence. Nous avons acheté de la nourriture, des gants de travail et des masques pour nous protéger des infections et d'éventuelles radiations. Nous avons aussi dû acheter une tente bon marché et emprunter quelques sacs de couchage légers à l'ashram de Tokyo, car c'était tout ce que nous avions. Nous savions qu'il ferait plus froid dans la région sinistrée, mais la réalité a dépassé tout ce que nous avions pu imaginer. Nous étions 3 : Nath Hoshi, Santosh Miyazawa et moi-même. Nous avons quitté la ville un peu avant 21h et nous avions 450km à faire à destination d'Ishinomaki, la ville où ETW avait concentré tous ses efforts jusque là.

On dit qu'à Ishinomaki, la vague du tsunami a atteint environ 10m de haut et déferlé jusqu'à 600m à l'intérieur des terres, détruisant plus de 500 maisons dans les ports baleiniers de la côte. Pour cette seule région, plus de 5000 personnes ont péri, ce qui fait environ 19% du nombre total de victimes.

Alors que nous approchions d'Ishinomaki, vers 2h00 du matin, le témoin de la réserve de carburant de la voiture s'est mis à clignoter. Cela faisait longtemps que nous n'avions pas vu de station et nous avons continué à chercher en vain. Même dans les endroits non sinistrés, toutes les stations étaient fermées. Comme nous étions déjà sur la réserve, nous avons dû nous arrêter devant une station essence et attendre son ouverture jusqu'au matin. Nous nous sommes garés de l'autre côté de la rue sur le parking d'une supérette. En sortant de la voiture, j'ai senti l'odeur fortement salée de l'eau de mer. Il semblait y avoir en plus des relents de pourriture marine, ou d'autre chose.

Le temps de monter notre tente sur le parking et de nous glisser dans nos sacs de couchage, il était 3h00 du matin. Malgré notre fatigue, nous avons eu du mal à trouver le sommeil à cause des sirènes des ambulances qui continuèrent encore un moment à hurler. Même au milieu de la nuit, des gens passaient près de notre tente et se demandaient où aller, quoi faire, comment se débrouiller et ainsi de suite. Nous avons quand même fini par nous endormir...

Quelques heures plus tard, Santosh m'a réveillé en me disant que la station était ouverte. Nous avons replié la tente, nous sommes montés dans la voiture et la journée a commencé. Soulagés d'avoir fait le plein, nous nous sommes dirigés vers le campus de l'université où Viveka s'était installé quand il avait participé aux opérations de secours avec l'IVUSA*. À notre arrivée, nous avons été impressionnés par les milliers de volontaires qui grouillaient partout, s'inscrivaient pour faire du bénévolat et dressaient de plus en plus de tentes, etc... Ishinomaki est juste à une heure de Sendai (un million d'habitants) - capitale de la préfecture de Miyagi. Comme Ishinomaki est facile d'accés, c'est là que les volontaires y vont par milliers.

Voyant que tout était bien organisé et qu'apparemment il y avait presque trop de bénévoles, nous avons décidé de pousser plus au nord pour voir ce qui se passait à Kesennuma - la zone résidentielle la plus proche. Il nous a fallu 2 h ½ pour faire seulement 80 km, vu le mauvais état des routes.

Plus de 2000 personnes sont mortes à Kesennuma et apparemment il y avait eu autant de dégâts qu'à Ishinomaki, mais beaucoup moins de bénévoles pour aider. En arrivant nous avons vu quelques milliers de réfugiés qui faisaient la queue sur des centaines de mètres pour recevoir du ravitaillement d'urgence. Certains portaient de simples sandales et de vieilles chaussettes usées. Nul doute qu'ils avaient tout perdu dans la catastrophe.

Les provisions étaient bien alignées devant le gymnase où était stocké le reste du ravitaillement. Les réfugiés étaient divisés en groupe de 100 personnes avaient 10 minutes pour remplir un seul sac poubelle avec ce dont ils avaient besoin. Leurs yeux brillaient en fouillant parmi les cartons de chaussettes, de chaussures, de sous-vêtements, de sacs de couchage et autres.

Pendant des heures, un flux ininterrompu de gens a rempli la cour de l'école, chacun emportant pour tout bagage un seul sac poubelle. Chacun devait porter son sac plein - si lourd soit-il - même les personnes âgées et les enfants en bas âge. Sans moyen de transport – il leur fallait regagner les abris à pied. Il a commencé à pleuvoir. J'ai pleuré devant un tel spectacle ...

Ici aussi, nous avons aidé l'IVUSA à distribuer le ravitaillement d'urgence et à servir un repas chaud aux réfugiés. Cette nuit-là, nous avons campé les étudiants sur un terrain de camping dans les collines à l'extérieur de la ville. La nuit, nous avons eu l'impression que la température chutait en-dessous de zéro. Heureusement des gens nous ont prêté des couvertures et nous avons plus ou moins réussi à dormir.

Le lendemain matin, nous avons rejoint les étudiants pour un nouvel « atelier- transport de boue ! »

 

Dans l'après-midi, nous avons décidé d'aller évaluer la situation encore plus loin au nord. En voyant le décalage entre Ishinomaki et Kesennuma, nous nous doutions bien que Rikuzentakata situé à 25 km au nord de Kesennuma aurait encore plus besoin d'aide. Une vague de 13 m de haut avait frappé cette tranquille ville côtière de 23000 habitants, faisant périr environ 10% de la population dont 1/3 de la municipalité. Les maisons devenues inhabitables ou détruites ont poussé au moins 70% de la population d'origine à se répartir dans 88 centres de réfugiés. L'ampleur de la désolation, surtout au centre –ville, dépasse l'entendement.

 

Nous avons repris nos recherches et fini par trouver le centre de bénévolat et son responsable. Ils travaillent dans un restaurant invraisemblablement petit converti en bureau. Il paraît inimaginable dans une situation d'une telle urgence de coordonner tous les besoins dans des conditions aussi rudimentaires. Mais bref, le responsable nous a fourni toutes les informations nécessaires et encouragés à revenir avec une équipe de bénévoles le plus rapidement possible. Le besoin et le manque de volontaires étaient si criant que nous avons décidé de revenir à Rikuzentaka lors de notre prochain séjour. Demain, 10 personnes quitteront Tokyo et Sendai pour commencer à travailler mardi à Rikuzentaka. Je prie pour que leurs efforts soient couronnés de succès.

Aum Namah Shivaya !

Shantamrita

*IVUSA : Association d'étudiants japonais bénévoles fondée en 1993 qui a pour but de venir en aide à l'humanité (coopération internationale, protection environnementale, aide d'urgence aux victimes de catastrophes).

 

 http://www.ammafrance.org/index.php?option=com_content&view=article&id=294%3Aarrivee-au-pays-de-la-desolation&catid=29%3Ales-oeuvres-dans-le-monde&Itemid=7&utm_source=feedburner&utm_medium=email&utm_campaign=Feed%3A+ammafrance+%28Amma+France%

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Quatre jours à Ishinomaki — en direct du Japon Secours et Réflexions.

Cela fait plus de dix ans que « IVUSA » - une organisation japonaise d'étudiants bénévoles envoie des groupes d'étudiants en Inde pour participer aux projets de construction de maisons menés par « Embracing the World » en faveur des sans abri et des victimes de catastrophes naturelles. Ces étudiants ont participé au Kérala et au Tamil Nadu à la construction de maisons pour les victimes du Tsunami de l'Océan Indien de 2004. Et en 2010, à la suite des inondations catastrophiques du Karnataka, ils ont aidé ETW à construire des maisons pour les îliens qui avaient vu leur île complètement submergée. De nombreux volontaires se sont rendus en Inde à plusieurs reprises dans ce but.

Koichi Kanematsu est le coordinateur de « Embracing the World » pour ces projets annuels. Après le tremblement de terre et le tsunami qui ont frappés le Japon, Koichi a pris l'avion pour offrir ses talents d'organisateur et son expérience considérable en matière de secours d'urgence. Il est allé aider beaucoup de ces mêmes bénévoles avec qui il a travaillé en Inde, à porter secours à la Préfecture sinistrée de Miyagi. Tout en les soutenant dans leur entreprise, Koichi travaillait en même temps à identifier les besoins spécifiques des victimes que « Embracing the World » peut contribuer à satisfaire.

Voici son premier rapport.

Première journée.

28 mars 2011

De Tokyo à la Préfecture de Myagi.

Nous quittons Tokyo de bonne heure ce matin pour faire les 400 kilomètres qui nous séparent de Ishinomaki située dans la Préfecture de Miyagi. Ishinomaki est l'une des régions les plus touchées par le tsunami. Nous sommes 16, parmi lesquels 9 étudiants, à participer à cette opération de secours. J'en connais beaucoup pour avoir participé aux projets de construction de maisons menés par Amma en Inde. Ce sont des travailleurs expérimentés en matière de secours d'urgence avec qui j'ai collaboré à Nagapattinam, la région de l'Inde la plus touchée par le tsunami de 2004, au Kérala et également dans le Karnataka l'année dernière et même en 2001 lors du tremblement de terre du Gujarat.

À l'approche de la centrale nucléaire de Fukushima, nous mettons des masques et fermons soigneusement les fenêtres. Soudain tout est calme dans le camion. Les sommets des montagnes enneigées sont d'un blanc presque aveuglant. Il fait encore très froid dans cette région. La route est encombrée de camions de la SDF (Force d'Auto Défense), d'ambulances, de camions de pompiers qui se dirigent vers le nord. La plupart des gens portent des masques.

Nous nous arrêtons pour faire le plein. Il y a devant nous une queue d'au moins 30 voitures : on a à peine la place de sortir de l'autoroute pour se garer. L'essence est rationnée : seulement 13 litres par véhicule.

Dans de nombreux endroits, la route est mauvaise, le tsunami a défoncé le macadam.

Deuxième journée.

29 mars 2011

Ishinomaki, Préfecture de Myagi.

Debout à nouveau de bonne heure. Nous formons deux groupes. Le premier va débarrasser les gravats et aider à nettoyer les maisons en ruine et les lieux publics dévastés. Le deuxième fera la cuisine pour 900 victimes logées dans un lycée transformé en abri. Les gens qui se sont réfugiés dans des maisons alentour ont eux aussi besoin d'aide.

Aujourd'hui je suis dans le groupe cuisine. Il y a un endroit où la SDF remplit un container géant d'eau potable. Nous allons chercher de l'eau pour faire cuire le riz. Les gens de la SDF sont là pour aider. Tandis que nous remplissons nos brocs à eau, deux petits enfants – le frère et la sœur de toute évidence – viennent eux aussi chercher de l'eau. Ils ont dans les bras quatre bouteilles vides et un seau. Je leur demande si je peux les aider à porter le plus gros récipient. Ils refusent avec une gentillesse et un respect à fendre le cœur et s'inclinent profondément devant deux membres de la SDF en leur disant : « Merci beaucoup de travailler aussi dur pour nous et de nous aider.» Et en plus, ils fourrent un bonbon dans la main de chaque soldat. Ils nous regardent partir en souriant timidement et en faisant signe de leurs petites mains. Je sais que ces petits ont perdu leur maison et qu'ils n'ont pas le ventre plein. Mais ils me sourient et tout ce que je peux faire c'est de répondre à leur sourire. J'espère que nous les reverrons par la suite quand nous distribuerons à manger.

Deux chiens sont attachés à la porte de l'école qui sert d'abri. Personne ne sait à qui ils appartenaient avant le tsunami, maintenant ils sont à tous ceux qui logent là. À chaque fois que de petits enfants passent à côté d'eux, ils les appellent par leurs nouveaux noms : Shiro (blanc) et Chibi (le petit) et leur tapotent affectueusement la tête. Les chiens aussi sont tout heureux d'être caressés par les enfants — ils tirent la langue et remuent joyeusement la queue. Les deux chiens sont récemment devenus orphelins, comme c'est aussi le cas pour certains des enfants – et je vois bien que par ces petits gestes ils s'aident mutuellement à guérir.

Nous installons notre tente de cuisine et puis nous préparons de la soupe chaude et des onigiri (boules de riz à la japonaise). Quelques femmes de l'abri viennent nous aider à préparer les onigiri, puis nous sommes rejoints par un autre groupe de femmes. Elles viennent de Niigata, un endroit plus au nord qui a été touché par un grave séisme en 2004. Niigata avait été secouru par de nombreux bénévoles et elles sont venues pour rendre la pareille. Elles ont apporté des légumes frais - daikons (radis blancs d'hiver), champignons, negis (oignons longs), carottes et autres légumes — qu'elles préparent depuis deux jours. Elles disent qu'elles sont contentes de faire quelque chose pour les habitants d'ici après tout ce qu'on a fait pour elles quand elles en avaient besoin. Elles ont également apporté un message pour les gens d'ici qu'elles ont très envie de partager : « Avec de l'aide, nous avons réussi à surmonter nos terribles difficultés et nous savons que sans aucun doute vous aussi vous y arriverez ! »

Quand nous arrivons à l'abri avec la nourriture, nous sommes accueillis par une quantité de sourires spontanés. Il fait froid et les réfugiés sont contents d'avoir de la nourriture chaude et réconfortante. Ils s'inclinent encore et encore en répétant : « Merci, merci,» quand nous les servons. Nous aussi nous sommes heureux de voir les sourires égayer les visages qui ont tant souffert ces derniers jours. Ils nous disent que dans les premiers jours qui ont suivi le tsunami, ils devaient faire la queue très longtemps pour une seule boule de riz pour trois personnes. Ils disent que les boules étaient si petites qu'ils n'arrivaient pas à la diviser en trois. Mais ils étaient heureux de partager. Quelquefois ils n'avaient rien à manger, et ils se contentaient de boire de l'eau pour se remplir l'estomac.

Des gens viennent dans la tente nous aider à nettoyer, à faire le service et même à charger le camion quand nous avons fini. À la fin presque tout le monde est sorti nous remercier. Tout le monde nous a serré la main.

Ce qui me frappe, c'est que nous sommes venus ici pour aider mais qu'ils nous ont procuré beaucoup de bonheur. Comme eux, nous avions les larmes aux yeux. Les gens d'ici ont tout perdu – leurs maisons ont été emportées et ils sont nombreux à avoir perdu un des leurs – mais ils ne s'avouent pas vaincus – ils plaisantent avec nous et je vois même des personnes âgées travailler dur pour entretenir les chambres et les toilettes. Les jeunes s'en vont aider à déblayer les gravats et nettoyer les maisons sinistrées. Un homme m'a confié : « J'ai tout perdu, ma maison a disparu et je ne sais pas quoi faire. » En parlant il regarde le ciel en souriant doucement puis se retourne vers moi en disant : « Mais j'essaie de rester positif et de faire de mon mieux ... » Je me surprends à me demander si je pourrais rester aussi positif en pareilles circonstances. Impossible de ne pas éprouver de l'admiration et un profond respect pour ces gens.

Plus tard nous allons à la base SDF pour récupérer des sous-vêtements, du shampoing et du café etc. pour les gens qui sont logés dans l'abri provisoire. J'ai été surpris en voyant le stock énorme de fournitures en tout genre qu'il y a à la base. Les soldats les distribuent dans les abris provisoires et les ONG comme nous peuvent prendre tout ce qu'elles pensent pouvoir distribuer après avoir rempli les papiers nécessaires. On nous dit que c'est dans la ville d'Ishinomaki qu'a été concentré tout ce qui a été envoyé des quatre coins de l'archipel et par divers pays. La base et ouverte 24 heures sur 24, que ce soit pour réceptionner ou distribuer les fournitures. C'est un bon début et ils se débrouillent bien pour acheminer le matériel jusqu'aux abris provisoires. C'est plus difficile de toucher les gens qui sont restés vivre chez eux ou chez des parents et qui eux-aussi sont très démunis mais n'ont pas encore pu être touchés. Ce n'est pas le seul problème – par exemple, le centre de distribution a reçu beaucoup de paquets de nouilles instantanées mais les abris provisoires ne sont pas équipés pour faire chauffer de l'eau si bien qu'il est très difficile de les préparer.

Aujourd'hui, nous avons ressenti une paire de secousses longues et importantes.

Tous les soirs il y a des réunions au campus de l'université locale où a été établi une sorte de quartier général des bénévoles. Les représentants de toutes les organisations bénévoles présentes sur place échangent idées et informations sur les abris provisoires, les meilleurs endroits pour faire la cuisine, là où il faut de l'aide pour débarrasser les décombres, des informations médicales … il y a même des vétérinaires qui disent comment protéger les animaux. Ce qui saute aux yeux, c'est qu'il manque du monde pour dégager les maisons et les espaces publics … Il y a tant de décombres ! Il ressort aussi que c'est vraiment très important de demander aux réfugiés ce dont ils ont véritablement besoin au lieu d'arriver avec nos idées préconçues et ce dont on croit qu'ils ont besoin. Ici aussi les organisations travaillent de concert pour être plus efficaces. Il y a tant de groupes de passage. La prochaine fois que nous reviendrons, nous projetons de camper sur la pelouse du campus — elle est constellée de tentes de bénévoles.

La plupart des gens — réfugiés ou bénévoles — n'ont pas pu se doucher depuis plus de dix jours car beaucoup d'endroits sont privés d'eau courante et d'électricité. Finalement l'électricité est rétablie et l'eau arrive très lentement dans la région. Et il fait trop froid pour se doucher à l'eau froide. Certaines personnes ont pu prendre une douche chaude grâce à la SDF et m'ont dit que cela avait été l'extase. Je n'ai pas pris de douche depuis que j'ai quitté Tokyo. Nous n'avons pas eu beaucoup à manger — nous n'avons pas voulu manger ce que nous avions préparé pour les réfugiés car cela aurait été leur retirer le pain de la bouche et nous savons bien qu'ils en ont bien plus besoin que nous. Nous nous contentons pour la plupart d'entre nous d'une tasse de nouilles instantanées le matin avant d'aller au travail et d'une autre le soir avant de dormir. Je n'y fais pas très attention — je sais que cette petite difficulté n'est rien en comparaison de ce qu'endurent les gens à qui nous rendons service. Je suis surtout rempli de gratitude d'avoir l'occasion précieuse d'être au service des gens d'ici. Il fait froid dehors mais le sentiment qui domine est celui d'une chaleur inoubliable.

Troisième journée.

30 mars 2011

Ishinomaki, Préfecture de Myagi.

Aujourd'hui nous allons tous dans la péninsule où de nombreux villages ont été emportés par le tsunami. Il y a une odeur très forte dans la zone autour du port, comme une odeur de pourri. Nous nous arrêtons dans un petit refuge d'environ 80 personnes. Nous leur donnons une caisse de chemises à manches longues et de pantalons, des médicaments, des nécessaires de toilette et des en-cas. Nous leur demandons aussi s'il leur manque quelque chose d'autre.

Ils disent qu'ils veulent des carnets et des crayons : ils veulent faire la liste de ce qu'il y a à faire pour retrouver une vie normale. Ils ont besoin de chaussures — des sandales et des grandes bottes de pluie pour les gros travaux de déblaiement dans les zones sinistrées. Et il leur faut des sous-vêtements et aussi des soutiens-gorge. Ils disent qu'ils n'ont pas besoin de produits d'hygiène féminine — dans ces villages, la plupart des gens sont âgés et les femmes sont déjà ménopausées.

Ils ont dit que la SDF leur apporte du riz, de l'eau potable et qu'une autre ONG leur apporte des boules de riz tous les jours. Un groupe d'Hokkaido leur a donné quelques poêles à bois qui ont été très utiles car cela leur permet de se passer de gaz et de pétrole. Ces poêles leur ont donné une certaine autonomie : au moment où nous arrivons, des femmes sont en train de préparer le petit déjeuner sur ces poêles. Elles sont sympathiques et nous accueillent avec un grand sourire. Même s'ils ont tout perdu et qu'ils ont manifestement le cœur lourd de chagrin, ils se montrent gais avec nous. Je me rappelle les gens du Karnataka qui avaient perdu leur maison dans les inondations de 2009 et qui nous ont accueillis avec de beaux sourires quand notre équipe est allée leur construire des maisons. Comment se fait-il que ce soit les plus gentils qui ont tout perdu ? Peut-être que si l'on lâche tout, on peut devenir ce que l'on est censé être !

Je passe un peu de temps avec le responsable de cet abri. Je lui demande de bien prendre soin de sa santé car il fait encore très froid. Il me rassure : « J'ai déjà touché le fond, je ne peux que remonter. »

Plus tard nous repassons avec les fournitures promises. Les dames âgées sont tout heureuses de choisir de beaux sous-vêtements dans le grand carton : que c'est bon de les voir si joyeuses et sourire gaiement. Quant aux hommes, ils paradent autour du carton et interpellent leurs femmes : « Hé, Kaachan (Maman), qu'est-ce que tu en penses ? » Tout le monde rit.

Quatrième journée.

31 mars 2011

Ishinomaki, Préfecture de Myagi.

Dernier jour. De nouveau, nous faisons deux équipes : déblaiement et cuisine. Dehors il y a du vent, il fait très froid et il pleut.

L'équipe cuisine installe notre tente cuisine devant le supermarché prés de la zone résidentielle où une grande partie des habitants vivent désormais à l'étage. On nous a dit qu'aucun autre groupe ne leur avait encore fait à manger.

Alors nous préparons tout ce que nous avons — de la soupe avec plein de légumes pour 1 500 personnes. Pendant que le reste de l'équipe prépare à manger, nous allons à cinq, faire du porte à porte. Nous frappons à chaque porte pour avertir les gens que nous leur préparons à manger. Je vois un couple âgé en train de nettoyer leur maison : ils ont le dos courbé et font peine à voir, c'est vraiment beaucoup trop dur pour eux. Mais ils sont patients et travaillent à leur rythme.

Nous traversons une zone où des voitures retournées bloquent la circulation. Les maisons sont très détériorées. Nous crions tout le temps : « Hello! Il y a quelqu'un à la maison ? » Et nous leur disons qu'il y a de la soupe et leurs demandons d'apporter leurs récipients. Les gens accueillent la nouvelle avec plaisir. En général on distribue de la nourriture et des fournitures aux gens des abris, car on sait combien ils sont. Mais les gens qui sont restés chez eux ou qui sont hébergés dans de la famille ont été oubliés. Je ne peux accuser personne, car il semble infaisable d'aller frapper à toutes les portes et il y a à peine assez de groupes de bénévoles pour s'occuper des gens réfugiés dans les abris. Il faut plus de monde pour aider.

J'explique aux gens qui viennent chercher la soupe que nous avons préparée, que les légumes ont été préparés par des habitantes de Niigata qui elles-mêmes ont été logées dans des abris provisoires il y a quatre ans après le tremblement de terre qui a dévasté leur ville. J'ajoute qu'elles sont venues aider la population d'ici parce qu'elles ont reçu beaucoup d'aide au moment où elles étaient dans le besoin et que cela les avait aidées à surmonter leur tragédie. En remplissant leurs récipients de soupe, je leur rappelle que beaucoup de gens sont avec eux et que partout sur Terre il y a du monde qui prie pour le Japon. Ils sourient à travers leurs larmes.

Nous apportons également de la soupe dans une école transformée en abri qui héberge environ 80 réfugiés. Il y a là un homme qui coupe les cheveux des autres réfugiés : « Je suis ici avec ma femme. Elle enseigne ici et comme je suis coiffeur styliste, j'essaie de faire ce que je peux pour aider en fonction de mes compétences ... » dit-il. Avec l'aide des soldats de la SDF, ceux qui sont logés ici viennent de prendre leur première douche hier après 14 jours sans eau.

Dans l'après-midi, je rejoins l'équipe de déblaiement. Il y a une règle ici, même si les gens abandonnent leur maison, c'est à eux de vider entièrement les lieux. Nous rencontrons une famille qui a des parents dans la ville de Sendai : ils vont déménager le surlendemain. Nous nous arrêtons pour les aider à vider entièrement leur maison, c'est un travail dur. Même si tout est dévasté et enfoui sous les décombres, les gens qui évacuent leur maison se donnent la peine de le faire avec ordre et méthode. Ils déposent les ordures proprement sur la route. Tout est emballé dans des sacs plastique bien alignés — cette discipline est très japonaise. Je me souviens d'un rituel en usage dans ma propre famille. La veille du Nouvel An, nous avions l'habitude de nettoyer la maison de fond en comble. Mais avant de jeter quoi que ce soit, nous le nettoyions méticuleusement, qu'il s'agisse d'un vieux meuble, d'un vieux frigo ou d'un vieux bureau.

Tout ce que nous retirons des maisons est encore trempé. Les tiroirs des bureaux sont remplis d'eau nauséabonde. Le paillasson de la porte d'entrée est gorgé d'eau.

Un des membres de notre groupe a participé en Inde à un projet ETW de construction il y a presque treize ans. Tandis que nous travaillons, il se met soudain à chanter des bhajans - des chants dévotionels d'Amma. (Amba Bhavani, Amma Amma Taye). Il me regarde en disant : « Je me rappelle encore de ces bhajans après 13 ans ! » Après ça, nous nous mettons tous à travailler en chantant ensemble. Dans le groupe, beaucoup de gens sont allés en Inde et connaissent Amma. Et quand nous avons le temps, nous parlons souvent d'elle.

De toute évidence, il y a énormément de foyers qui ont besoin d'aide. Nous projetons de revenir le 4 avril avec un groupe plus nombreux, environ une cinquantaine d'étudiants bénévoles, pour aider à nettoyer d'autres maisons et aussi pour préparer d'autres repas.

Dernières réflexions.

L'attitude résolument positive des réfugiés d'ici me rappelle les gens du Gujarat. Quand Amma était allée les voir après le tremblement de terre de 2001, ils lui avaient dit : « Dieu nous a tout donné. Maintenant, il a tout repris. En fait rien ne nous a jamais appartenu, alors nous ne sommes pas tristes que ce ne soit plus là. » Émus par leur détresse, Amma avait contribué à la reconstruction de trois villages pour les habitants.

L'université locale a établi un nouveau règlement pour les étudiants : ils gagnent des points pour leurs examens en participant aux opérations de secours. Je crois que c'est une bonne chose pour les étudiants de se rendre compte de la situation et de se mêler à la population : cela fait aussi du bien aux réfugiés des abris provisoires. On apprend sur place tant de choses qu'il est impossible d'apprendre dans des manuels. C'est l'occasion d'apprendre ce qu'il y a de plus précieux et que l'on pourrait fort bien oublier sinon : la compassion, la patience, le partage, la simplicité, la gratitude pour tout ce que l'on a et que l'on considère comme un dû … la vie, la mort, la coexistence. Je souhaite à tout le monde d'avoir l'occasion si précieuse de servir ceux qui sont vraiment dans le besoin pour ne plus jamais voir la vie de la même manière — cela conduira inévitablement à une transformation radicale.

-Koichi Kanematsu

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